OBLOMOV
- Administrateur
- 3 oct. 2020
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 août 2022
par les Tréteaux de France : un théâtre populaire et exigeant, comme je l’aime !
C’était la première au Théâtre Dijon Bourgogne.
Le sommeil peuplé de rêves, de fantômes bienveillants de l’enfance et d’angoisses...
Les journées qui s’écoulent, passées à réfléchir et à dormir...
L’âme russe, l’humour, la mélancolie, la poésie.
Oblomov m’apparaît comme un homme libre et désespéré, lucide, en résistance contre la norme qu’on veut lui imposer, qui cherche un sens à sa vie, et même le bonheur, craignant de souffrir, et prisonnier de ses angoisses, parfois amer, lâche ou de mauvaise foi, mais d’une sincérité déroutante... un homme touchant...
Tout le monde aime Oblomov, d’ailleurs !
Robin Renucci nous propose une vision enthousiasmante, en s’entourant d’une équipe extrêmement talentueuse !
La scénographie est raffinée, toute en poésie : un cube entouré de voilage figure la chambre d’Oblomov, ce lieu duquel il ne veut plus sortir ; de grandes portes qui s’ouvrent sur les propriétés voisines ; des projections sur les voilages et au sol et un travail de la lumière et des ombres, qui nous font passer du monde du rêve et des angoisses nocturnes au monde des vivants, dont Oblomov semble vouloir se retirer...
Les costumes sont très réussis également, notamment les robes de chambre d’Oblomov.
Le texte (adaptation du roman) nous fait naviguer en permanence du rire aux larmes.
Les mots de Gontcharov, que nous a lus ce soir Robin Renucci en ouverture de certains tableaux (un petit problème technique nous a valu ce cadeau du metteur en scène), sont parfois d’une beauté cruelle et cinglante.
Et j’ai beaucoup aimé la place donnée à la musique avec ce violoncelle d’Emmanuelle Bertrand, qui m’a fait frémir dès les premières secondes et la troublante Casta Diva de Pauline Cheviller...
ainsi que toute la troupe, excellente !
Le valet d’Oblomov, Zakhar - malicieux Gérard Chabanier - le sert de son mieux, mais semble ne plus savoir comment aider ce maître qu’il a bien du mal à suivre...
Son ami d’enfance, Andrey - énergique et attentif Valery Forestier - tente de faire renaître le jeune Oblomov qu’il a connu...
Il lui présente la délicieuse Olga - Pauline Cheviller, et le miracle se produit : Oblomov tombe amoureux et semble prêt à voir se concrétiser un rêve de vie idéale !
Andrey et Olga pensent pouvoir le « ramener à la vie ».
Tous aiment Oblomov, mais personne ne semble vraiment le comprendre et l’accepter tel qu’il est, sauf peut-être sa propriétaire, la discrète et efficace Agafia - Emmanuelle Bertrand (également mystérieuse conteuse de l’histoire du brochet).
Le spectacle doit évidement beaucoup à l’extraordinaire performance de Xavier Gallais, qui nous entraîne avec une apparente facilité pendant 2h15, à travers les humeurs changeantes et les angoisses d’Oblomov, passant d’un état à l’autre avec agilité et sensibilité, toujours convaincant, touchant d’humanité...
Un être enfermé dans sa chambre, qui sort à peine de son lit, se lovant comme un enfant contre son oreiller, hurlant à la trahison quand son domestique et fidèle compagnon d’infortune ose le comparer « aux autres » ; puis ce même être dans la joie des retrouvailles avec son ami d’enfance ; sa colère froide contre l’hypocrisie d’une société qui « taille en pièces la réputation des absents » ; l’homme élégant et un peu gauche qui va tomber sous le charme d’Olga, lutter contre cet amour qui lui fait peur, jusqu’à la scène bouleversante des fiançailles secrètes ; l’homme désespéré, puis en admiration sincère pour Agafia, cette femme qui sait faire tant de choses (moudre du café, confectionner de délicieuses tourtes, repriser les bas...) à moins qu’il ne s’agisse d’une forme de résignation à une vie confinée ; enfin un homme usé par la maladie, l’alcool et le désespoir qui rompt définitivement avec son passé.
Ce sont tous ces états de l’âme d’Oblomov que Xavier Gallais parvient à nous faire ressentir avec subtilité !
Au-delà du destin de cet anti -héros magnifique, la pièce nous interroge sur notre rapport au temps et au sens que nous voulons donner à notre vie... et continue ainsi à cheminer...
Que c’était bon d’assister à cette première, de découvrir ce très beau travail d’équipe, de très haute tenue (malgré les répétitions interrompues) la concentration du public et l’accueil extrêmement enthousiaste et amplement mérité !
Bravo à tous, et un grand merci !
Texte : Nicolas Kerszenbaum
D’après Ivan Gontcharov
Traduction : Luba Jurgenson
Mise en scène : Robin Renucci
Avec : Emmanuelle Bertrand, Gérard Chabanier, Pauline Cheviller, Valéry Forestier, Xavier Gallais
Scénographie : Samuel Poncet
Lumière : Julie-Lola Lanteri
Costumes : Jean-Bernard Scotto
Production Tréteaux de France – Centre dramatique national
Coproduction Châteauvallon, Scène nationale ; Espace Jean Legendre, Théâtre de Compiègne
Photos : Sigrid Colomyès
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